Les «essentiels» oubliés
Il y a des matins comme ça. Je me suis réveillé ce matin et, depuis que j’ai mis le pied hors du lit, une question ne me quitte pas et tourne en boucle dans ma tête un peu comme un ver d’oreille. Imaginez avoir le refrain de la chanson de Martine St-Clair qui se répète à l’infini dans votre tête : « Lavez, lavez, savez-vous savonner ? Lavez lavez…» ou encore celui de la chanson de Kathleen : « Ça va bien, même quand il pleut, le soleil te tend la main, ça va bien…» . Deux chansons tout à fait appropriées à la situation en ces temps de confinement pour lutter contre la COVID-19. Toujours est-il que la question qui me revient sans cesse est : « Pourquoi les adolescents sont-ils si peu motivés ?»
En tant qu’enseignant, j’ai un contact privilégié et précieux avec eux. Depuis le début du confinement, je suis en contact avec eux et je peux observer l’évolution de la situation : l’euphorie d’une semaine de relâche allongée, la déception de la perte d’un évènement phare dans leur vie – le bal de finissants -, l’augmentation du stress lié à la réussite de leur année scolaire, l’inquiétude face à leurs acquis académiques qui seront déficients pour la poursuite de leur parcours scolaire, la déception – et je dirais même la détresse – de la perte de leur réseau social et, pour plusieurs, l’interrogation complète concernant la suite des choses pour leur entrée au CEGEP. Je ne suis évidemment pas un spécialiste de la psychologie des adolescents, mais je peux vous dire que j’ai le privilège de travailler dans une école privée où dès le début du confinement, tout le personnel s’est mis en mode action. Nous avons tout de suite eu le souci du bien-être général de nos élèves autant académiquement que socialement. Nous sommes entrés en communication directe avec eux dès que possible et nous avons pris le temps de les écouter. Nous avons eu des bons et des moins bons coups, mais nous avons tenté de leur offrir une écoute et du support. C’est la raison pour laquelle je me permets de vous écrire ces lignes, même si je ne suis pas un spécialiste de la psychologie adolescente. Vous aurez surement remarqué que, depuis le début du confinement, plusieurs personnes se sont autoproclamées «expertes» en divers sujet. Ouf, ça ne vole pas toujours très haut.
Ceci étant dit, j’aimerais revenir sur plusieurs constatations que j’ai faites et vous les commenter un peu. Je n’ai jamais entendu autant de jeunes crier haut et fort qu’ils s’ennuyaient de l’école et qu’ils avaient vraiment hâte d’y retourner. J’aimerais bien vous dire que ça flattait mon égo et que je me sentais important à leurs yeux, mais dans les faits, si les matières scolaires étaient si importantes à leurs yeux, alors pourquoi avoir tant de difficulté à trouver la motivation nécessaire pour faire leurs travaux scolaires et surtout pour les remettre ? Je crois que la réponse est assez simple : leur vie sociale leur manque. Ils sont en manque… en manque de contacts humains qui sont si importants à leur âge afin qu’ils apprennent à se définir en tant qu’individus et citoyens de demain. « Ben du contact humain, ils ont juste à aller en chercher dans leur famille, de toute façon toute la famille est pognée ensemble ! » Effectivement, c’est une bonne idée sur papier, mais si vous vous ramenez un petit peu en arrière et que vous êtes honnête, je ne suis pas certain qu’à leur âge, vous recherchiez beaucoup la présence de votre petit frère ou de votre petite soeur ou bien le dialogue avec vos parents qui se disaient si compréhensibles mais qui ne pensaient qu’à vous dire de faire votre chambre.
« Bon ben debord, ils ont juste à aller travailler, ils vont en voir du monde ! De toute façon le ministre a dit qu’ils étaient en congé. » Une autre belle exclamation truffée de contradictions. Premièrement, on demande aux jeunes d’aller travailler, car il y a un manque criant d’employés. Les employés ne peuvent venir travailler, car on veut qu’ils restent à la maison pour éviter qu’ils soient contaminés et qu’ils propagent le virus. Mais ne vous en faites pas, ça ne peut pas arriver aux ados. Deuxièmement, on leur dit merci. Merci de vous sacrifier pour le bien de la société. Vous êtes des « TRAVAILLEURS » essentiels. Pas des « personnes », mais bien des travailleurs essentiels. Des fourmis ! Pis en plus, pour les « remercier » de leur sacrifie et du fait qu’ils doivent côtoyer des centaines de personnes par jour, on leur interdit les rassemblements, (?!?) Troisièmement, pour les inciter à aller travailler, on leur donne une prime de 2$ de l’heure en plus de l’augmentation du salaire minimum. Finalement, une semaine plus tard, on leur dit que l’école est « REDEVENUE » importante, que les cours à distance sont maintenant obligatoires et que les élèves sont tenus de s’y présenter en direct ou non et de remettre tous leurs travaux.
Je sais, nous sommes une société de contractions et nous n’en sommes pas à une contraction près. Vous vous souvenez sans doute l’extraordinaire marche pour la planète et l’environnement de l’année dernière. On s’était dit : « Ça y est, fini l’individualisme, maintenant c’est du collectif ». Je dois avouer que tous ces beaux espoirs ont fondu rapidement lorsque j’ai vu un rassemblement de gens qui marchaient pour le déconfinement en scandant : « Nous avons le droit de sortir… » Heureusement, ce mouvement n’a pas eu trop trop la cote, mais tout de même. Dans le même ordre d’idées, des gens ont fait des pressions pendant des semaines auprès du gouvernement réclamant le « droit à leur camping », car ils étaient confinés depuis plusieurs semaines et qu’ils avaient « besoin de voir du monde ». C’est moi, ou ça ressemble pas mal au besoin des adolescents ? Ben, je vous ferais remarquer que lorsque les adolescents, pour qui c’est plus qu’essentiel de voir du monde, c’est vital, se sont exprimés sur leur désarroi face à la perte de leur bal de finissants, non seulement n’ont-ils pas été entendus, mais ils ont été ridiculisés sur les réseaux sociaux.
Maintenant, les campings sont réouverts, le déconfinement est amorcé, on a ouvert les écoles primaires pour que les enfants puissent socialiser et les parents puissent souffler un peu. Tout le monde a été entendu. Qu’en est-il des gens qui n’ont pas de voix et qui, en plus, n’ont pas le droit de vote ? Qu’en est-il des adolescents, les « essentiels » oubliés ? Détrompez-vous, je ne suis pas en train de critiquer les mesures ou les décisions prises par les autorités ou par la santé publique. Je veux seulement soulever le fait que toutes ces décisions ont été prises par des adultes, pour des adultes sans laisser de voix aux adolescents. Les adolescents devront comprendre ou au pire, ils n’auront pas le choix de s’y faire.
Mais pour en revenir à mon questionnement de ce matin, est-il possible qu’après tout, la démotivation des adolescents, leur non-implication et leur désintéressement ne soient que le reflet de notre démotivation, de notre non-implication et de notre désintéressement collectif à leur égard ?
Dominic Paul